Jouant sur deux niveaux de perception, lointain puis rapproché, les œuvres de Ekstedt usent de duplicité. Elles peuvent d’abord ressembler à des photographies prises la nuit, un processus qui demande de longs temps d’exposition expliquant les traînées lumineuses de ce qui pourrait être interprété comme des phares d’automobiles. Lorsque le spectateur s’avance par contre, il constate rapidement qu’il a sous les yeux des pigments et de la toile, ce qui fait basculer les représentations du côté de l’abstraction puisque les traînées lumineuses deviennent subitement des coulisses de peinture dont la matérialité se révèle incontestable. On peut ainsi penser que Dennis Ekstedt se penche tout autant sur les techniques de l’abstraction que sur le second sens du terme « abstraction » qui désigne notamment l’acte d’abstraire, c’est-à-dire d’isoler une composante d’un tout complexe en laissant ses autres caractéristiques de côté. Dans un article récent sur ce thème, Peter Plagens nous rappelle d’ailleurs qu’un paysage ou une nature morte ramené à ses composantes formelles essentielles, ce que Ekstedt propose dans ses représentations urbaines, constitue aussi une abstraction. Simplement, il s’agit alors d’une abstraction qu’il qualifie d’objective, opposée à une abstraction non objective ne reposant pas sur une épuration de la réalité .
Ce sont les diverses qualités de la lumière – artificielle, naturelle, diffractée, éthérée, reflétée, projetée – que l’artiste cherche à saisir dans ses toiles depuis son arrivée chez Art Mûr en 2003. Semblant s’inspirer de photographies, que l’on reconnaît au type de cadrage et aux effets lumineux représentant le mouvement, il met en évidence la porosité des frontières séparant les deux médiums artistiques en rappelant que si la photographie, au début de son histoire, a tenté de gagner une reconnaissance artistique en reprenant les techniques de la peinture (pictorialisme), cette dernière s’est aussi transformée au contact de ce nouvel instrument. Happé de plus en plus par les hauteurs célestes desquelles le rapprochent ses vues en plongée, exigeant de lui qu’il s’élève aux sommets des citées qu’il dépeint, Ekstedt a logiquement laissé son regard errer jusqu’au ciel étoilé. La ville devenue firmament et le ciel paraissant tout à coup habité, les œuvres récentes du peintre perdent leur ligne d’horizon au profit de la représentation d’un espace intermédiaire, aérien, flottant quelque part entre l’infiniment grand et l’infiniment petit, entre le plancher des vaches et l’étendue sans limites apparentes de l’univers.