Code Switching

Du 22 avril au 27 mai 2017
Vernissage : le 22 avril de 18 h à 21 h
Nadia Myre : Code Switching
Art Mûr Leipzig
Spinnereistraße 7, Halle 4b
Leipzig (DE)

Texte de Suzanne Viot

A Londres, si l’on se promène sur les rives de la Tamise, on trouve des tubes blancs dans la vase. On pourrait les prendre pour de petits os. Il s’agit pourtant d’objets manufacturés, qui témoignent d’une phase de la colonisation des Amériques.

Nadia Myre a collecté ces tuyaux en argile blanche pour créer sa dernière série intitulée « Code Switching ». Le titre, littéralement la « permutation des codes », est emprunté à la linguistique et désigne le mode d’apprentissage des enfants élevés dans un contexte bilingue, alternant d’un langage à l’autre et d’une culture à l’autre.

Les petits objets trouvés à Londres ont beaucoup à raconter. Pour Nadia Myre, ils symbolisent l’appropriation des coutumes et des ressources du « Nouveau Monde » par les colons, qui transformèrent tout ce qui pouvaient l’être en marchandise. Comme pour le sucre, le coton, le cacao et le café, ils firent rapidement du tabac une filière d’exportation, le détournant de son usage médicinal et sacré dans la culture autochtone. S’inspirant des calumets fumés par les Premières Nations, ils produisirent des pipes en céramique pré-remplies avec du tabac. De petites pipes jetables qui envahirent le monde occidental et dont on retrouve les vestiges partout sur les rivages nord-américains de l’Atlantique. D’un point de vue historique, ces pipes sont le trait-d’union entre la pipe amérindienne (dont on trouve la représentation dans d’anciennes peintures vieilles de 2000 ans) et la cigarette contemporaine apparue au début du 20ème siècle. Elles furent produites en masse en Angleterre, en Écosse, en Hollande, en France et au Canada du 17ème au 19ème siècle. Objets à la fois fragiles et bon marché, elles sont aujourd’hui très utiles aux archéologues pour dater les sites, en raison des estampes en série que certaines portent encore, indiquant le lieu de leur fabrication.

Myre raconte que Mohawks et Anishinabés se sont réapproprié très tôt cet objet manufacturé. Son œuvre intitulée Pipe Beads rappelle les parures de poitrines en hair pipe (des perles allongées en os ou autres matériaux). L’origine de ces armures de guerrier talismaniques remonte à l’époque précolombienne1.  Aujourd’hui, elles sont encore portées lors de powwows.

Les appropriations et réappropriations dans la culture matérielle sont une illustration très parlante des phénomènes d’acculturation entre européens et nations autochtones. Le travail de Nadia Myre révèle ici plus que jamais ses affinités avec l’ethnologie. Elle a créé à partir de sa récolte des parures, semblables aux ornements de poitrine traditionnels (Pipe Beads). Les images que Myre obtient ensuite des perles/artefacts disposés, assemblés ou isolés, rappellent les photographies sur fond noir des collections des Musées d’ethnologie, documentant le produit des fouilles archéologiques. Sa démarche est doublement intéressante dans la mesure où elle confère aux petites pipes le statut d’objets scientifiques, tout en rendant aux artefacts ethnologiques leur valeur esthétique, valeur souvent tabou chez les chercheurs en sciences humaines.

Dans la continuité avec ses séries antérieures, la beauté et la simplicité des compositions de Switching Code donnent une grande force au message de Nadia Myre. Elles inspirent le respect tout en invitant au recueillement.

1. Hair Pipes in Plains Indian Adornment, By John C. Ewers, Anthropological Papers, No. 50