Vernissage : Le samedi 12 janvier 2019 de 15 h à 17 h
Nadia Myre : Code Switching and Other Work
Art Mûr, Montréal (QC)
Texte de Mother Tongue (Tiffany Boyle & Jessica Carden)
Traduit par Rosalie Tellier
Le travail de Nadia Myre déterre poétiquement les enchevêtrements entre l’empire britannique, le Canada et les populations autochtones, et commente l’histoire de la production de pipes à tabac en argile au Royaume-Uni. Ayant directement découlé du troc du tabac avec le soi-disant Nouveau Monde, les pipes pré-bourrées et prêtes à utilisation furent l’un des premiers produits jetables à apparaitre sur le marché. L’œuvre de Myre explore les procédés d’empreinte, de documentation, de tissage et d’excavation autour de ce commerce et poursuit la discussion sur les héritages coloniaux.
La rencontre des européens avec le nouveau monde au cours du 17e siècle engendra une recrudescence de l’utilisation du tabac et la conception de pipes en argile. On assista à un remaniement des récipients, bols et tiges allongées qui étaient utilisés par les premières nations et dont les pipes étaient brisées progressivement en segments lorsque le tabac était fumé. De nombreux centres de production s’édifièrent en Grande-Bretagne, à Glasgow et Bristol par exemples, bien que l’Écosse détînt le monopole d’exports aux conglomérats comme la compagnie de la Baie d’Hudson, laquelle régissait la majeure partie de l’Amérique du Nord au début de la colonisation. En archéologie, les tessons de pipes à tabac occupent une place considérable, non seulement puisqu’ils sont découverts en quantité importante, mais aussi car ils sont utilisés pour dater des sites d’excavations. Les morceaux déterrés sont ainsi des objets précieux en termes de leur signification historique, mais ordinaires en raison de leur abondance, de leur apparence élémentaire et de la moindre valeur économique qu’on leur octroie.
Nadia Myre est une artiste du Québec et membre du groupe Algonquin Kitigan Zibi Anishinabeg des premières nations. C’est en 2015 qu’elle débuta ses recherches d’excavation au long des rives de la Tamise, cours d’eau majeur scindant la ville de Londres et se déversant dans la mer du Nord, où elle y a découvert de nombreux vestiges de ces pipes d’argile. À titre d’anecdote sur le récit de ces fouilles, il est arrivé à maintes reprises que des dents et ossements furent confondus avec des tiges et fragments de pipes. Par ailleurs, les tessons, dans leur forme similaire à des billes prêtes à l’emploi, rappellent d’abord les Wampum portés traditionnellement par les premières nations et, ensuite, font référence à la pratique actuelle de perlage et de tissage qu’emploie Madame Myre.
Code Switching and Other Work engage et questionne l’impact d’un passé commun sur l’entendement actuel des uns et des autres. Amorçant des discussions autour de la polémique des droits et de l’avenir des peuples autochtones, Myre explore les céramiques européennes et natives en ayant recours à la numérisation haute-définition, la sculpture et la photographie, le tout étalé dans un format d’exposition de style muséal. Les recherches et productions de Myre étudient les expériences de médiations interculturelles et les emploient stratégiquement pour reconnaitre et restituer la contribution de l’art et les productions culturelles des premières nations. Par ailleurs, Code Switching and Other Work examine le langage singulier et le pouvoir de la mise en espace muséale, tout comme la production de connaissances qui en découle. L’exposition admet des objets historiques qui sont réappropriés par des techniques de recréation et de représentation. D’un point de vue plus large, la pratique de l’artiste insuffle des questions pertinentes en ce qui concerne le rôle de l’artisanat au sein des arts visuels, tentant ainsi un cahotement de la perception et de la place octroyées à cette pratique ancestrale, mais non moins pertinente pour répondre à des enjeux contemporains.