Mens-moi

Du 5 novembre au 17 décembre 2011
Mens-moi (Exposition collective soulignant le 15ième anniversaire d’Art Mûr) Lois Andison, Simon Bilodeau, Dominique Blain, Susan Bozic, Evergon, Clinton Fein, The Gao Brothers, Renato Garza Cervera, Sarah Garzoni, Karine Giboulo, Dina Goldstein, Nicolas Grenier, Jonathan Hobin, Guillaume Lachapelle, Cal Lane, Nadia Myre, Cooke-Sasseville, Jennifer Small, Barbara Todd, Colleen Wolstenholme

J’aime la vérité. Je crois que l’humanité en a besoin ; mais elle a bien plus grand besoin encore du mensonge qui la flatte, la console, lui donne des espérances infinies. Sans le mensonge, elle périrait de désespoir et d’ennui.- Anatole France, La Vie en fleur.

Est-ce que détourner son regard de la vérité est un mensonge? Nous sommes tous, un jour ou l’autre, confronté à une vérité si amère que nous y aurions préféré un mensonge. Or, si ces vérités sont choquantes à entendre, elles le sont encore plus à voir – elles nous semblent encore plus crues. L’an dernier, Wajdi Mouawad, le directeur artistique du Théâtre français du Centre national des arts, avait sélectionné le travail de l’artiste Diana Thorneycroft pour illustrer le calendrier promotionnel du théâtre. Une vive réaction s’en était suivie dans les médias de la capitale nationale. Monsieur Mouawad avait donc dû défendre son choix, ce qu’il avait fait avec éloquence dans une lettre ouverte au journal Le Droit, dans laquelle il affirma :

Un artiste est là pour déranger, inquiéter, remettre en question, déplacer, faire voir, faire entendre le monde dans lequel il vit, et ce, en utilisant tous les moyens à sa disposition. Or, pour que cela puisse advenir, il doit poser un geste qui va d’abord et avant tout le déranger lui-même, l’inquiéter lui-même, le remettre en question lui-même, le déplacer lui-même, le faire voir lui-même, le faire entendre lui-même1.

Ils sont plusieurs à faire partie de cette catégorie d’artistes – leur approche peut varier mais le message demeure une invitation à la réflexion et au questionnement.

L’humour est l’un des moyens qu’ils utilisent pour démontrer l’absurdité du comportement humain. Ainsi, dans son Dating Portfolio, Susan Bozic nous fait découvrir la relation amoureuse parfaite – le seul hic est que l’homme parfait n’est pas humain. Quelle triste vérité! Le duo Cooke-Sasseville, pour sa part, présente une production satirique et teintée d’humour mais qui véhicule néanmoins d’importants messages. Leur installation intitulée La Vie en Rose (illustrant un flamand rose posant sa tête sur une voie ferrée) nous fait prendre conscience que nous sous-estimons souvent les conditions qui mènent au suicide. L’œuvre Mourir enfin, quant à elle, nous présente une scène de désolation dans laquelle trois jeunes découvrent avec stupeur la catastrophe qu’ils ont créée.
« Je n’y peux rien » est probablement le pire mensonge qui existe, car il permet aux souffrances, aux catastrophes et aux horreurs de se perpétuer indéfiniment. En s’appropriant certains grands titres de l’actualité et des images choc véhiculées par les médias, les artistes contemporains confrontent leur auditoire à des situations qu’ils jugent inacceptables. En regardant une œuvre de la trempe de Village démocratie, de Karine Giboulo, nous sommes ainsi confrontés à une interprétation personnelle d’une crise bien réelle et nous éprouvons un fort sentiment d’impuissance. Cependant, ce dernier est-il justifié? Dominique Blain, Nadia Myre, Renato Garza Cervera, Clinton Fein, Simon Bilodeau et Barbara Todd sont autant d’artistes qui ont puisé dans l’actualité afin de créer des œuvres choc qui nous interpellent et provoquent un sérieux questionnement chez le regardeur.

Selon certaines études américaines, nous mentons en moyenne deux fois par jour (à autrui, ce qui n’inclut pas les mensonges que l’on se raconte à soi-même), et selon d’autres études, la capacité à mentir apparaît naturellement chez les enfants vers 4 ans. Alors que nous avons la conviction que nous leur apprenons l’importance de la vérité et qu’il est mal de mentir, nous leur faisons en fait très tôt comprendre que toute vérité n’est pas bonne à dire : « On ne dit pas ça aux gens », « On ne parle pas de ces choses-là », et ainsi de suite. C’est la première leçon de mensonge – et, rapidement, nous complétons cette formation en les convainquant que le Père Noël existe.

Dans la série The Fallen Princesses, Dina Goldstein réinterprète les contes de fée disneyens en y insufflant une dure dose de réalisme qui ajoute du mordant à des contes démodés. En effet, la « bulle » que nous créons pour nos enfants est souvent fort loin du monde réel dans lequel ils devront évoluer. Dans Grandir n’est pas si difficile, Guillaume Lachapelle teste notre propre naïveté enfantine : alors que la mise en scène semble d’abord dépeindre un gentil personnage offrant un ballon à un enfant, un second regard (et une certaine connaissance des produits pour adultes) nous fait rapidement comprendre que ce n’est pas un ballon, mais bien un butt plug (un jouet sexuel) qui est offert. Ainsi, cette naïveté qui ne nous quitte pas totalement une fois adulte nous rend également vulnérables – Jennifer Small et Colleen Wolstenholme soulignent d’ailleurs, dans leurs projets respectifs, comment les religions savent bien exploiter cette vulnérabilité. Avec sa série In the Playroom, dans laquelle des enfants ont été invités à reconstituer des scènes d’actualité par le biais de jeux, Jonathan Hobin a suscité une polémique qui lui a valu une entrevue à CNN. Ses détracteurs ont été particulièrement choqués par cette série de photographies, énonçant que les enfants prenant part à ses mises en scènes d’horreur n’étaient pas en mesure de comprendre la portée de leurs actes et pourraient développer des séquelles sévères. Pourtant, si ma mémoire est bonne, ma génération jouait aux cowboys et aux Indiens (jeu qui consistait à faire semblant de s’entretuer, après tout)!
Doit-on se questionner sur la naïveté dans laquelle les enfants occidentaux sont éduqués et dans laquelle nous, adultes, nous complaisons?
Dans le discours de remerciements qu’il adressa suite à l’obtention de son prix Nobel de littérature, en 2005 (intitulé Art, vérité et politique), Harold Pinter déclara : « […] la quête de la vérité ne peut jamais s’arrêter. Elle ne saurait être ajournée, elle ne saurait être différée. Il faut l’affronter là, tout de suite . »2.

1. Wajdi Mouawad, « Le Véritable rôle de l’artiste », Le Droit, 13 avril 2010.
2. Harold Pinter, « Art, vérité & politique », conférence Nobel, Stockholm, La Fondation Nobel, 7 décembre 2005, p.3.