Forced Nature

Du 18 janvier au 1er mars 2014
Shayne Dark et Daniel Hughes : Forced Nature

Texte de Vincent Marquis

Au tournant des années 1960, le peintre américain Ad Reinhardt décrivait la sculpture comme « quelque chose contre quoi on se cogne en regardant une peinture »1. Plutôt qu’un simple jugement de valeur, Reinhardt avait certainement en tête l’idée que la sculpture est fondamentalement un objet et que, à ce titre, elle attire l’attention sur sa présence physique et matérielle, sur le fait qu’elle est simplement là, devant son spectateur.

C’est cet aspect de l’expérience sculpturale que l’historien de l’art Alex Potts juxtapose à une autre, toute aussi présente et immédiate de ses facettes : son intervention dans l’espace phénoménal du spectateur, et sa capacité à exciter notre imagination. Pour un instant, l’œuvre « devient quelque peu étrange et insaisissable tout en insistant sur sa présence, contrairement aux objets que l’on rencontre, en passant, au cours de notre vie quotidienne »2.

Les sculptures de l’artiste Shayne Dark font écho à ces tensions. Heroes et Windfall, par exemple, attirent le regard sur la matérialité du bois qui les constituent et sur les modifications physiques qui y ont été apportées. En même temps, Dark reconnaît que ses sculptures interagissent avec l’espace qui les contient, que leurs compositions particulières résistent à ce qu’on les voit comme simples produits finis. Situées à la croisée de plusieurs chemins – ceux du naturel et du culturel, de la création et de la destruction, du mouvement et de l’inertie – les sculptures de Dark cherchent à « favoriser la contemplation et encourager le spectateur à reconsidérer les valeurs auxquelles notre culture adhère »3.

Ce sont ces tensions, entre autres choses, que le peintre Daniel Hughes tente de représenter. D’un côté, se qualifiant lui-même de peintre figuratif, Hughes cherche à traduire les caractéristiques formelles des œuvres en question qui attirent l’attention sur la matérialité de ces dernières. D’un autre côté, inspirées « par la nature abstraite des œuvres de Dark », les peintures de Hughes demeurent sensibles à leur caractère insaisissable tantôt en les positionnant devant des arrière-plans neutres, tantôt en brouillant ou en diluant leurs contours4.

Mais au-delà de la représentation, l’une des forces des œuvres de Hughes est de créer un dialogue entre elles et les sculptures de Dark. Le spectateur passe des unes aux autres, contemplant leur réciprocité, puis leur interdépendance. Au final, le rapport entre peinture et sculpture observé par Reinhardt se brise, ouvrant la porte à une interaction productive entre elles.

1.Dans Alex Potts, The Sculptural Imagination: Figurative, Modernist, Minimalist (New Haven : Yale University Press, 2001), 1. Ma traduction.
2. Idem. Ma traduction.
3. Shayne Dark, courriel de l’artiste, 13 novembre 2013.
4. Daniel Hughes, courriel de l’artiste, 14 novembre 2013.