I found Jesus at the flea market

Du 12 septembre au 26 octobre 2013
Vernissage : Le jeudi 12 septembre de 17h00 à 20h00

L’icône survivante. Texte de Alexandre Poulin

Les icônes religieuses qui ornaient autrefois la quasi-totalité des espaces publics et domestiques québécois semblent désormais abandonnées au statut de traces artisanales d’un passé révolu. Reniés depuis la Révolution tranquille – la domination de l’Église ayant depuis laissé son lot de cicatrices dans la mémoire collective –, les crucifix, figurines ou représentations bibliques se retrouvent liquidés à bas prix dans les brocantes et les marchés aux puces. Notre regard, dépossédé d’un attachement au catholicisme, les engage ainsi dans de nouveaux rapports au monde.

Jennifer Small s’intéresse à la désuétude de ces icônes qu’elle collectionne à titre d’objets désacralisés. Par ses assemblages polysémiques, l’artiste façonne des scènes qui entretiennent des rapports ambigus avec la réalité. Ces fictions, pastichant la rhétorique du dogme religieux, démontrent un certain écart entre les valeurs véhiculées par la Bible (que l’artiste cite à l’occasion dans le titre de ses œuvres) et son instrumentalisation morale, politique ou économique. Ainsi, la figure du Christ symbolise par exemple un lutteur victorieux et accueillant (Come On Up to the House, 2012); un héros moderne (We Can Be Heroes, 2012); ou encore une contre-balance de la bourse du Vatican (Hanging in the Balance, 2013). L’icône religieuse, plutôt que de s’asservir à une fonction de culte dogmatique, sert ici de jonction entre un passé idéalisé et un présent décalé – voire fortement désillusionné.

Les stratégies esthétiques que Small met de l’avant, notamment l’appropriation et le collage, s’affilient à une tendance récurrente en art contemporain. Puisant justement ses racines dans le monde du cinéma , l’artiste développe un savoir-faire qui s’inscrit dans un art de la postproduction. Comme l’indique Nicolas Bourriaud, nombreux sont les artistes qui ne produisent plus des formes nouvelles, mais pigent dans le répertoire culturel infini et remanient des formes préexistantes. Le terme de la postproduction, emprunté au milieu cinématographique, est associé à « une multiplication de l’offre culturelle, mais aussi, plus indirectement, à l’annexion par le monde de l’art de formes jusque-là ignorées ou méprisées ». Small croise ainsi des formes archaïques et contemporaines récupérées de la culture populaire. En somme, la polysémie qui se dégage de ce métissage permet de complexifier notre rapport au religieux et de négocier avec la survivance d’une iconographie ayant marqué le paysage culturel québécois.

1. Jennifer Small a réalisé une carrière de technicienne en design cinématographique avant de se tourner vers les arts visuels.
2. Nicolas Bourriaud, Postproduction. La culture comme scénario : comment l’art reprogramme le monde contemporain, Dijon, Les Presses du réel, 2004, p. 5.