Julia Reimer: Patient

L’essence de la technique n’est absolument rien de technique. – Martin Heidegger, La Question de la technique (1961).

Julia Reimer aime Martin Heidegger, surtout dans cette manière qu’il a de proposer que les oeuvres d’art entretiennent une double relation avec la nature : elles ne peuvent exister sans la matière et conservent toujours des propriétés physiques – la forme, la couleur. Elles n’existent cependant pas simplement en et par la matière, puisqu’elles transcendent leur matérialité par une couche de sens fondamentale. Dans ses œuvres récentes, Reimer met en lumière cette mécanique du contraste entre le désir humain de contrôler son environnement par l’entremise de la machine et l’indomptable force de régénération de la nature. Par l’intercession du verre, Reimer explore l’illusion de contrôle de l’humain sur le monde, la métamorphose du paysage, la tension inhérente à cette relation et la beauté inaltérable qui résiste néanmoins au refaçonnage humain.

La matière

Le verre est fabriqué à partir de sable, de soude et de chaux, qu’on chauffe à une température élevée pour rendre le mélange liquide. On manipule ensuite ce dernier quand il est malléable pour lui donner la forme voulue, qu’il conserve en refroidissant. La recette n’a pas bien changé au fil des siècles, mais la chimie en a raffiné les techniques : l’ajout de potasse et de plomb améliore la qualité du verre, le cobalt, le souffre et d’autres minéraux lui donnent des couleurs ; les possibilités sont grandes. Julia Reimer le souffle et le sculpte en des formes organiques et le combine à d’autres matériaux comme l’acier, la pierre, le bois et le béton. Ses objets sculpturaux témoignent de la grande flexibilité du médium et donnent naissance à des herbes, des nids, des petites choses aquatiques et aériennes, presque des colonies de créatures, parfois. Entre fluidité, opacité, légèreté, unicité et accumulation, il se crée un espace où se conjuguent, tout en délicatesse, des traces d’un monde qu’il faut apprendre à regarder avec des yeux neufs.

La patience

L’idée derrière ce corpus d’œuvres est tirée d’un souvenir d’enfance, où la petite Julia rendait visite à son père travaillant sur un puits de pétrole dans les prairies d’Alberta. L’immensité des gisements et les jeux d’exploration parmi les granges abandonnées et les bâtiments de fermes ont créés une impression persistante dans son esprit. Tandis que la force furieuse des machines était à l’œuvre, la nature reprenait néanmoins ses droits sur les efforts des humains : l’herbe qui pousse entre les fentes du béton, dans les fondations des bâtiments, l’érosion du vent, le bois retournant à la terre. L’esthétique de Julia Reimer est née de la fraîcheur de la lumière sur les douces collines et les prairies battues par les vents.

Pour Reimer, le verre était le matériau tout indiqué pour explorer cette idée du paysage canadien transformé par le développement industriel. La qualité virginale du verre et sa fragilité transmettent le sens de cette tension qu’elle cherche à illustrer. Les pièces de la série L’Attente sont des modélisations de ces changements de notre environnement et surtout, de la lente et patiente résilience des choses vivantes.

Julia Reimer a grandi et vit toujours dans une petite ville des prairies albertaines. Après avoir étudié le verre soufflé et le design dans des établissements scolaires traditionnels, elle a poursuivi ses recherches par des voyages d’études en Écosse, aux États-Unis, en Espagne, en France, en Hongrie et au Japon. Lauréate de plusieurs prix d’excellence, elle a fondé le Firebrand Glass Studio avec son mari Tyler Rock.