for intérieur

Du 8 septembre au 3 novembre 2012

Texte de Véronique Leblanc

Peuplée de quelques créatures ailées – parmi lesquelles une hirondelle et un papillon de nuit –, For intérieur revêt un caractère symbolique qui relève davantage du mauvais présage que de la fable. Perchée dans l’espace d’exposition, l’hirondelle veille, laissant régulièrement tomber une goutte de sang, inépuisable. L’insecte nocturne, lui, virevolte et se heurte constamment au mur, infatigable. En compromettant la finalité au moyen de la répétition et surtout en animant une matière inerte tout en révélant l’imposture de l’immuabilité, les œuvres de Patrick Beaulieu invitent à prendre la mesure d’une existence paradoxale, à mi-chemin entre métamorphose et anéantissement.

Deux séries d’impressions numériques, For intérieur – sang et For intérieur – braise tentent de saisir des formes de passage. Elles présentent, d’une part, l’atterrissage d’une plume rougie par le sang sur l’écran de lecture d’un numérisateur et, d’autre part, l’ultime image produite par un tel appareil alors qu’il est détruit par l’action de la chaleur de la braise. Fixées dans une netteté presque impossible, la plume souillée et la braise incandescente gisent sur un noir dense, profond, improbable. Les plumes duveteuses portent la douceur de la blessure et la violence d’un carnage sur fond blanc; les morceaux de braise éclatent comme des paysages, comme un commencement ou une fin du monde, comme une topographie du périssable. Ces images, irréelles, tentent vainement de faire contact avec l’état transitoire des choses, avec des phénomènes voués à leur propre disparition. Leur extrême précision – leur définition – se combine à d’étranges effets produits par l’enregistrement d’un mouvement, mais aussi à des erreurs de lecture occasionnées par la nature insaisissable des objets captés. Tout en examinant la manière dont l’interface technologique module notre rapport au monde, elles observent la ténuité de l’emprise que nous avons sur le visible, le perceptible, le connaissable.

Dans l’installation centrale, des dizaines d’ailes métalliques sont soumises aux pulsations d’un éclairage capable de moduler la matérialité de leur présence. Encore une fois, la matière est mise à l’épreuve précisément là où le visible ne recouvre pas la totalité du réel. Les installations comme les images de Patrick Beaulieu recherchent le potentiel poétique de ce jeu d’apparition et de disparition. Cette saisie du monde, qui ne peut embrasser la réalité de la chose, cherche modestement à entretenir un point de contact avec elle. La pulsation, le crépitement, le froissement, la chute, sont presque inaudibles. Mais dans un silence qui n’est pas complet – comme toute chose – des effluves sonores, ténus, traversent l’espace et gagnent l’intérieur.