Définir l’éphémère

Du 15 novembre au 20 décembre 2008

Texte de Katrie Chagnon

L’approche plastique d’Henri Venne découle d’une recherche sur la dimension insaisissable du paysage, liée aux effets sensoriels et émotifs engendrés par l’expérience des grands espaces. Se frayant un chemin entre la mémoire et l’oubli, ses œuvres se construisent dans l’accumulation et l’effacement de traces pour former une sorte de brouillard monochrome aux multiples évocations possibles. Le processus d’épuration mis en œuvre par l’artiste consiste à faire jouer l’une sur l’autre ou l’une contre l’autre la photographie et la peinture afin de créer un espace trouble entre la figuration et l’abstraction, l’enregistrement technique du réel et les conditions phénoménologiques de sa perte. Alliant les propriétés du flou photographique et de la peinture formaliste, la démarche de Venne se conçoit selon une logique de passage où la référence à un ailleurs se perd sans cesse dans l’évanescence et les fluctuations du regard.

Le désir du peintre-photographe de transposer la sensation méditative de la nature dans le tableau – ce par quoi il renoue avec le romantisme – est à l’origine d’une méthode particulière. Depuis plusieurs années, il arpente différents lieux muni de surfaces réfléchissantes où le paysage vient laisser sa marque éphémère, que l’artiste capte au moyen de l’appareil photo. Ces images réflexives sont ensuite juxtaposées à des panneaux monochromes pour former des diptyques qui réintègrent un élément codé de la représentation : la ligne d’horizon comme indice minimal d’une division entre le ciel et la terre.

La nouvelle production de Venne poursuit cette recherche sur la « limite » en accentuant les phénomènes de densité visuelle découlant de la superposition photographie/peinture par l’emploi du verre givré. Placé devant l’image, celui-ci agit comme un filtre optique dont la fonction est de brouiller la représentation. Jouant dans l’écart entre le fond du cadre où se dépose la photographie et le bord interne de la vitre où se découpe, dans le bas, une bande peinte à l’horizontale, les effets atmosphériques et le jeu franc de la couleur animent l’espace de l’œuvre d’une profondeur à la fois instable et illimitée. La perception se concentre alors sur le battement rythmique de l’horizon qui suspend et renouvelle constamment l’expérience de l’œil, qui fouille dans l’étagement des couches de l’image pendant que le corps règle sa distance avec elle.

Le motif choisi pour la présente série est le ciel nuageux, pris pour sa capacité particulière à faire oublier le lieu pour n’offrir qu’un champ quasi abstrait de variations colorées. Cette fascination pour les qualités plastiques du ciel fait écho à l’admiration de l’artiste pour l’œuvre pictural de Charles Gagnon, avec qui il partage une sensibilité aux nuances de la nature, surtout dans ses formes aériennes et vaporeuses. Ainsi, avec Étendue : Hommage à Charles Gagnon, il rend explicite cette filiation, de même que sa volonté de s’inscrire dans une tradition où, comme chez Rothko également, l’aspect contemplatif du paysage passe par une quête d’épuration formelle. Les possibilités ouvertes par le récent travail d’Henri Venne sont donc indissociables d’un dialogue avec l’histoire de l’art du siècle dernier.