Manèges

Texte de Marie-Ève Beaupré

Métaphoriques, les maquettes de la série Manèges se présentent comme de petits tableaux suggérant un théâtre de l’absurde, un univers composé de fractures poétiques, de fantaisie et d’angoisse. Des rails qui s’élancent vers le néant, des carrousels dont les chevaux s’emportent, des files d’attente désertées; ce parc d’attractions dont les visiteurs ont fui ne compte que d’inquiétants personnages inquiétés. Sous la forme de fables et d’autant de manigances, les vestiges d’un plaisir forain ambigu nous sont racontés telles des énigmes disséminées dans un environnement que doit parcourir le visiteur attentif.

Les installations de Guillaume Lachapelle braquent notre regard, l’amusent et l’intriguent. Détournant la fonction récréative du manège, les miniatures du sculpteur sont amputées du caractère festif habituellement associé aux lieux forains. Celui-ci architecture des appareils dénaturés où le plaisir est périlleux. Son univers insolite peuplé d’objets aux fonctions incertaines contourne toute logique, oscillant entre des motifs empruntés au réel et des accessoires dignes des récits surréalistes. Au point de convergence du ludisme et de l’étrangeté se situent les interprétations construites par le regardant, contemplatif devant la rigueur de l’exécution.

Méticuleusement, les maquettes qui intègrent systématiquement leurs supports de présentation sont scénographiées de manière à ce que chacun des angles de vue dévoile de nouveaux indices et d’aporétiques détails. Composée de pièces de bois et de résine de polyester, cette série d’oeuvres s’ouvre sur d’infinies possibilités de micro-récits dont la petitesse des pièces et l’humilité des matériaux ne peut que décupler le pouvoir d’évocation. Habillées de façades, les allégories se développent à la frontière d’un imaginaire qui métisse l’illusion et le dérisoire, confrontant l’idée du manège à des architectures affligées et à des êtres équivoques. Patiemment, l’artiste cisèle des environnements précaires, mécanisés selon une logique troublée et improbable.

De cet espace narratif miniaturisé émergent des fragments oniriques qui se reportent au réel telles de petites proses. Se complaisant dans les jeux d’échelle, les éléments sculptés et moulés composent le décor d’un étrange rapport au monde qui renvoie le spectateur à sa propre fabulation, laquelle se dévoile au seuil de la fiction et du familier, un dialogue imaginaire qui demeure ineffable.