En pure perte

Texte de Anne-Marie St-Jean Aubre

Alors que sa série précédente nous projetait dans une fête foraine tourmentée, où les manèges, détournés de leur fonction de divertissement, semblaient précaires et abandonnés, Guillaume Lachapelle nous propose dans ses œuvres récentes des maquettes plus schématiques. Ces dernières se caractérisent encore une fois par la minutie des détails et les agencements improbables de lieux et d’objets aux fonctions trafiquées. Traversée par le mouvement et mise en scène de manière théâtrale, cette nouvelle série intitulée En pure perte invite le spectateur à découvrir le monde à la fois fragmenté et disparate imaginé par l’artiste. Hésitant à la frontière qui départage le merveilleux du fantastique, le ludisme de l’étrangeté, Lachapelle crée des structures qui, bien qu’a priori pourraient évoquer les maisons de poupées et figurines propres au domaine de l’enfance, suggèrent davantage la face cachée de ces jouets anodins. Tirant parti de l’ambiance dramatique que les jeux d’ombre et de lumière permettent de produire dans l’espace d’exposition, l’artiste entraîne ainsi du côté plus glauque et mystérieux du rêve ces scènes quotidiennes inventées, déformant la réalité. Anthropomorphisme et personnification se conjuguent dans ces environnements peuplés d’animaux aux comportements humains et de meubles se mouvant d’eux-mêmes. S’ajoutent à ces caractéristiques des jeux d’échelle qui donnent l’impression que les personnages, miniatures, évoluent dans un monde où les structures architecturales sont dotées d’une vie qui leur est propre. Une inversion des relations de pouvoir habituelles se met ainsi en place : l’humain ne semble plus responsable de l’édification de son environnement mais paraît plutôt déterminé par lui.

Invité à se déplacer dans l’espace, à s’approcher, à se pencher et parfois même à s’accroupir pour mieux apprécier la précision de l’artiste, le spectateur n’est plus un simple observateur lorsque vient le temps d’appréhender les installations de Lachapelle; il devient passant, déambulant entre les différents plateaux disséminés dans la salle d’exposition. Ainsi c’est au rythme de ses déplacements qu’il tissera entre les scènes le fil d’une narration, projetant dans les vides séparant les objets un contenu propre à son imagination. Cette liberté plus grande donnée au spectateur quant aux pistes narratives des œuvres est un changement que l’on observe depuis la série Passages Avides (2003-2004), où des titres plus imagés ancraient davantage le contenu des histoires présentées. Majoritairement montées sur de petits présentoirs en forme de tablette fixée au mur, les fables de Passages Avides, intitulées diversement L’Aveu, Apologie du mâle pâle ou encore La Chute de l’ange, se présentaient plutôt comme des épisodes à « lire » un après l’autre selon l’ordre linéaire imposé par l’accrochage régulier dont elles faisaient l’objet. En comparaison, les séries Manège (2004-2006) et En pure perte s’ouvrent aux rapprochements porteurs de récits inédits que le hasard des trajectoires dans l’espace d’exposition peut engendrer. Les objets deviennent ainsi des déclencheurs, des interfaces plongeant le spectateur dans l’univers de ses propres souvenirs, rêves ou fantasmes.